Un bar pas comme les autres

J’arrive de nuit à Treasure Beach, au Sud-Ouest de la Jamaïque. Ce n’est donc que le lendemain que je peux réaliser la différence nette de paysage, cette côte étant bien plus sèche. Ici, pas de forêt, seulement des champs secs et des buissonneux. Le concept de ruralité est à son maximum : il n’y a aucun centre, ou bourg, dans les environs. Il semble que tous les bâtiments sont régulièrement dispersés dans la campagne.

Vue sur la pointe Sud de Treasure Beach, depuis Lover's Leap

Je me rends à Southfield avant tout pour cause d’un distributeur en panne « temporaire » à Treasure Beach, mais décide alors d’aller voir Lover’s Leap. C’est un point de vue du haut d’une falaise, accessible en un court trajet en taxi. Sur place, une guide m’explique qu’à cet endroit, deux esclaves se retrouvaient régulièrement pour flirter à l’abri des regards. Jusqu’au jour où leur maître les a surpris, et qu’ils ont préféré sauter que de se retrouver séparés. Le fait est que le point de vue en question surplombe la mer de… 520 mètres.

Tranquillement installé au-dessus de la mer, Pelican Bar

J’attends pendant quelques heures que d’autres personnes arrivent sur la plage Frenchman’s Bay pour partager les frais d’une excursion en bateau. Je visite les environs en parlant à bon nombre de locaux. Ici, les gens ont le temps, et ils sont ouverts à la discussion. La plupart d’entre eux ne réclame rien en échange! En début d’après-midi, un couple italo-suédois vivant aux USA arrive et me permet de partager une embarcation pour le bar à la location la plus insolite de l’île : il est posé sur pilotis, en pleine mer.

LE Pelican Bar !

On ne peut accéder au Pelican Bar qu’en bateau. Un premier a été construit en 2002, ravagé par l’ouragan Ivan en 2004. Rapidement reconstruit pour faire perdurer son succès, il tient toujours sur ses pattes malgré son allure de frêle construction bancale. On y sert de la bière fraîche et du homard grillé, avec évidemment Irie FM en fond musical. L’eau est claire et je peux voir une raie nager tout en profitant du soleil depuis le ponton. Les quelques heures passées à cet incroyable lieu sont passées en un clin d’œil, c’est à recommander à quiconque souhaite se rendre en Jamaïque.

Pêcheur pointant une raie du doigt, Pelican Bar

Sur le retour, notre capitaine nous détaille les nationalités des propriétaires des grosses maisons côtières secondaires. Il nous raconte comment le paysage à changé depuis Ivan. J’apprends alors que le vent peut balayer une plage, au sens propre. A des endroits où les gens allongeaient autrefois leurs serviettes, il n’y a aujourd’hui que des rochers. Pour les constructions, les habitants ont trouvé la parade : il n’utilisent plus de tôle pour le toit, qui est plat et fait de ciment.
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Côte Nord et Blue Mountains

Après avoir posé mon bagage à Port Antonio, je pars au petit matin pour les Blue Mountains, sur la route entre Buff Bay et Kingston. J’y suis accompagné par Skiadou, un jamaïcain qui trainait près de l’hôtel et qui m’a proposé de me guider jusqu’à une auberge tenue par des rastas en montagne.

Sur la route de Section

On passe une belle vallée où coule un joli petit torrent, et les montagnes sont couvertes de forêt. En alternant marche et minibus, on arrive finalement à Section, un hameau d’une communauté de montagne où vivent des rastas. Le superflu n’a pas sa place ici… La nourriture, l’hébergement, le mode de vie sont vraiment simples. Un repas typique, c’est un peu de banane, des légumes, et de la pâte bouillie. Les rastas consomment énormément de bananes et cuisinent les akis (fruit national de la Jamaïque) qu’ils cueillent en forêt.

Repas rasta typique

Ma chambre offre une belle vue sur un côté de la vallée. De l’autre côté, je pars marcher en direction de Kingston, et arrive à un point de vue sur la capitale, malheureusement éclipsée par la brume. La randonnée n’est pas très intéressante puisque je longe l’asphalte, mais j’apprécie les panoramas et la végétation omniprésente.

Le propriétaire de l'auberge, et Skiadou

Une fois rentré à Port Antonio, je séjourne chez Bianka, une allemande qui est ici depuis 9 ans, et que j’ai rencontrée sur le site de couchsurfing. Je lui loue une chambre à bas prix et elle m’informe volontairement sur les endroits à voir et les choses à faire dans les environs. Grâce à elle, je pars visiter les jolies plages de la paroisse de Portland : Blue Hole, Boston Bay, Winnifred Beach. Bien sûr, elles sont différentes mais ont toutes en commun quelque-chose : Sur le parking, les locaux laissent leur voiture portes et coffre ouverts pour faire profiter à tous de leur musique. Dans les environs, les villas en location et hôtels de luxe brillent d’indécence aux abords de la pauvreté de Port Antonio.

Eau de source dans un recoin du Blue Hole


Winnifred Beach

Un jour, Bianka me conseille un ami pour m’emmener voir la rivière Rio Grande. C’est un rasta, et l’écouter parler impose le respect. Il m’explique que le matin, la première chose qu’il fait, c’est chercher de la nourriture pour subvenir à ses besoins. Il n’a aucun stock et mange en fonction de sa chance, au jour le jour. En allant vers la rivière, il utilise sa fronde sur des oiseaux, sans succès. Il a également un fusil de pêche sous-marine tout à fait antique, qui ne lui apporte rien aujourd’hui. On part ensuite vers une plage de sable noir à l’embouchure. Il y trouve un grande quantité d’amandes, et son petit déjeuner est trouvé.

Mon guide sur le chemin de Rio Grande

Je suis avant tout en Jamaïque pour la musique, et j’utilise la scène nocturne de Port Antonio autant que possible. Un soir, je me rends à un concert en bord de plage de PopCaan, un chanteur de dancehall célèbre sur l’île. La soirée commence à 22 heures, et la foule est présente. Cependant, les artistes ne sont pas sur scène pour le moment, c’est un DJ qui mixe des morceaux en ayant une fâcheuse tendance à les changer toutes les 20 secondes, et à brailler lourdement dans le microphone. Rien ne change jusqu’à 2 heures du matin, quand finalement des personnes montent sur scène pour « chanter » (il s’agit de dancehall). Je reste une heure assister au spectacle, puis me résous à rentrer, fatigué d’avoir passé plusieurs heures debout.

Décoration de chambre

Un autre évènement est à l’origine de plusieurs soirées : la Fête de l’émancipation. Le 1er août, on célèbre l’anniversaire de la libération des esclaves des colonies britannique. Dans le square central de Port Antonio, j’ai la joie de voir que lorsqu’un chanteur commence a cappella les paroles de Sweet and Dandy, une chanson du groupe Toots and the Maytals, la foule entière suit dans la chanson.
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Fletcher’s Land, Kingston, Jamaica

Arrivé à l’aéroport de Kingston vers 20h, l’agent de l’immigration répondant au doux nom de Sean Paul me pose un paquet de questions. Il me faut 45 minutes pour récupérer mon passeport et pouvoir sortir, mais ils ont appelé pour moi mon hôte Phillip Wright, alias Cassafaya. Bien ravi de le voir arriver un peu plus tard, il m’emmène chez lui, dans un quartier de Kingston, à Fletcher’s Land. Il s’avère que c’est là que posait le problème avec l’immigration : C’est le ghetto de Kingston, et c’est la destination que je leur ai annoncée… A de nombreuses intersections, des sound-systems diffusent leurs basses dans les rues adjacentes.

Entrée du quartier Fletcher's Land, Kingston

Dès le matin, je descends à pied vers Downtown Kingston, le long d’Orange Street. La place du Parc Willian Grant grouille de monde, et une couche de déchets plastiques longe le trottoir. A tout moment, il semble qu’au moins une personne a le regard posé sur moi. Cette sensation d’être observé de manière permanente est intimidante, mais cela aide à prendre confiance en soi. Je visite le National Gallery, où se tient une collection spéciale pour les 50 ans de l’indépendance. Je n’ai – sans surprise – pas vraiment accroché sur l’art moderne, mais j’ai apprécié la compétition de photographie et les anciennes cartes, de l’époque de la colonisation.

Tuff Gong Studios - Nous libérerons le peuple par la musique

Un bus vers Three Mile me dépose sur la Marcus Garvey Drive, où je souhaite voir le studio de musique reggae Tuff Gong. Malheureusement, c’est samedi, et c’est fermé le week-end. Dans la foulée, je repars à pied en suivant la longue Spanish Town Road, jusqu’à arriver à Trenchtown, un quartier de Kingston où sont nés les styles de musique jamaïcaine comme le ska, le rocksteady, et le reggae. Aujourd’hui, le Trenchtown Culture Yard & Museum est un lieu que quelques vieux rastas font visiter. Il était à l’époque très fréquenté des grands noms du reggae, avec évidemment en premier lieu la légende Bob Marley. On peut y voir la première guitare de l’artiste, sa chambre à coucher dans la cuisine, et un vieux van rouillé que Bob et les Wailers utilisaient pour leurs premières tournées.

Vieux van des Wailers, Trenchtown Culture Yard

Pendant trois jours, je réside dans le ghetto. Ce n’est pas moi qui utilise ce mot, il vient de la bouche de Cass’ et des gens qui me parlaient de l’endroit où il m’hébergeait. Dans chaque rue, plusieurs groupes de personnes parlent, écoutent de la musique et dansent, ou jouent aux dominos. Protégé par la notoriété et la connaissance du quartier de mon hôte, je peux me balader en relative sécurité, bien sûr sans jamais prendre de photo des gens. Ses trois enfants sont déjantés mais attachants. L’habitation et ses contours sont fait de planches et bois et de tôles, offrant un confort spartiate mais suffisant. Le reggae tourne en permanence dans la maison, Cass’ s’entrainant et donnant des cours de chant à domicile. A force d’entendre autant de bonnes vibrations, les enfants développent des compétences et m’ont parfois gâté d’une improvisation ou d’une reprise. Ils ont eu du mal à comprendre que ce n’était pas naturel pour moi d’en faire autant! Si vous voulez voir Andreen chanter, c’est par ici.

Maison et voiture de Cassafaya, Fletcher's Land

Le dernier soir, Cass’ prend le temps de m’emmener à un sound-system de rue. De chaque côté, des jamaïcains dansent sur eux-mêmes par dizaines, voire centaines. Au début, la foule est bercée par de vieux sons reggae. Plus tard, le DJ oriente ses choix vers de la chanson jamaïcaine un peu plus moderne, plus romantique et moins instrumentale. Mais quand même, j’ai toujours rêvé de voir ce genre de soirée jamaïcaine, j’ai été comblé de pouvoir y participer avec tous ces locaux.

Rasta du Trenchtown Culture Yard & Museum

Avant de partir de cette banlieue proche de Downtown Kingston, je prends soin de retourner vers le centre via Orange Street, en marquant des pauses chez les bons disquaires : Rockers International (135 Orange Street), Techniques Records (99 Orange Street), Randy’s Records (17th North Parade). Le dernier se mérite : il est meilleur marché, mais pour le trouver il faut aller sur la place William Grant, près du gros fast-food local Mother’s. Demander la porte métallique bleue qui mène au studio, à l’étage d’une épicerie. Évidemment, j’ai échangé aux trois endroits quelques billets contre de vieilles galettes vinyle de mélodies oldies.

Andreen Wright, fille cadette de Cassafaya

Je laisse ma place à d’autres couchsurfers qui souhaitent également profiter de l’hospitalité de Cass’. Je pars pour Uptown, les quartiers plus corrects. La différence est énorme. Les rues sont larges et propres, il n’y a pas de piéton et les voitures roulent vite, aucun vendeur ambulant ou stand de sandwich/boissons fraîches… Bref cela me fait regretter le ghetto et l’attention permanente qui va avec. J’y reste deux jours supplémentaires, le temps de visiter deux autres lieux d’importance dans la culture reggae. Le premier, malgré son tarif exagéré, est une étape obligatoire pour moi à Kingston… La maison de Bob Marley. On y voit les pièces de sa demeure du 56 Hope Road redécorées : salle aux murs couverts de journaux dont il fait la une, cuisine, salle reconstituant son premier stand de disques. Seule la chambre a été conservée d’origine.

Un vinyle de Bob Marley, avant impression

Le second est en fait un retour aux studios Tuff Gong, qui étaient fermés le samedi. La visite est très complète. Tout d’abord, je vois la salle des disques d’or et de platine, puis un groupe qui enregistre un nouveau titre, pendant que je m’assois sur le fauteuil de chef du studio Tuff Gong, près à mixer! Pour finir, on passe par l’usine, le hangar où les machines à presser les vinyles poussiéreuses s’entassent.

Pas de problème, je gère le studio Tuff Gong !

N’aimant pas les grandes villes, j’appréhendais Kingston. Effectivement, j’y ai trouvé une densité de population et de transport que je n’aime pas avoir à supporter en voyage. Mais le séjour à Fletcher’s Land, dans le ghetto, a été tellement enrichissant que j’y retournerais volontiers. Je recommande ce moyen unique de voir la vie dans un quartier pauvre de la réputée dangereuse capitale jamaïcaine. On se sent transporté dans un reportage!
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